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Pouvez-vous nous en dire un petit peu plus sur vous,
vos études et votre parcours professionnel ?
Je suis né il y a cinquante ans à Bordeaux.
J’ai d’abord étudié l’électronique, la téléphonie
pour être précis, avant de réaliser que j’étais
plus intéressé par le design et la photographie. Mon grand-père
était photographe et aussi un graveur. Je suppose qu’il faut
voir dans ma vocation un peu de son influence. Je suis donc devenu photographe
pour gagner ma vie et dessinateur pour mon propre plaisir.
Comme j’avais eu l’occasion de me former à l’informatique,
j’ai eu l’opportunité exceptionnelle de découvrir l’Apple
II avant la plupart des gens, à une époque où Sony
lançait la Mavica (qui se rappelle du premier appareil photo
numérique ?). J’ai également appris la programmation,
afin d’être capable de créer des fontes sur mon Imagewriter.
Cela a marqué le début de ma carrière de dessinateur
de caractères, dès 1983. Peu après, j’ai créé
en France un produit baptisé Le Typographe qui permettait aux
utilisateurs de PC de faire la même chose avec la Fx-80.
J’ai commencé à travailler sur des fontes
bitmap à cette époque. Les premières réalisation
de Match Software en 1987 étaient des fontes Bitmap pour HP et
pour notre propre système propriétaire. Puis vint Fontographer,
et je n’ai pas arrêté depuis, malgré les limitations
bien réelles de ce logiciel.
Que recherchez-vous quand vous créez
un nouveau caractère ? D’où vient l’inspiration ?
Cela
dépend des fontes et du moment. J’ai dessiné une version
réactualisée de Bujardet Frères, par exemple, en
1992, après avoir découvert dans des documents laissés
par mes grands oncles une belle affiche au lettrage intéressant.
J’ai beaucoup travaillé sur les réalisations du Bauhaus
et je suis également sensible à l’influence d’autres designers
comme l’architecte Le Corbusier. Enlève ceci et regarde ce qui
se passe. Enlève encore ceci et regarde le résultat. Jusqu’à
un certain point, réduire la lettre à l’essentiel. Très
zen.
D’un autre côté, j’aime le kitsch ; travailler
en particulier sur des fontes de symboles. J’ai ainsi eu l’idée
de l’une d’entre elles, DinosoType, par un de mes neveux qui était
fasciné par ces créatures. J’ai réalisé
cette typo en quelques semaines et n’aurais jamais imaginé qu’elle
serait téléchargée des centaines de millier de
fois en deux mois. Halloween Match ou SilBooettes sont de la même
veine. Je les ai réalisé très rapidement, pour
mon plaisir personnel, sans me préoccuper de leur utilité.
Le fait d’être un calligraphe m’aide aussi même
si j’ai tendance à toujours reproduire le même style de
lettres. Ce qui m’a grandement aidé, c’est le fait d’offrir un
service de réalisation de polices numériques d’écriture
manuscrite. Cela m’a permis de travailler sur des centaines d’écritures
manuscrites différentes et leurs particularités ont enrichi
ma propre expérience des lettres. On ne voit pas tout de suite,
mais il existe de grandes différences entre les écritures
manuscrites d’un Américain et d’un Anglais. Pour ne pas parler
d’un Allemand ou d’un Français.
J’ai fait quelques typos de type monospace ou bien encore
des linéales, mais relativement peu de caractères romains
classiques. J’essaye maintenant de travailler sur des caractères
à empattements. Même si le résultat de mon travail
est digitalisé, toute création commence par un travail
au stylo, au pinceau, a marqueur ou au crayon de calligraphe.
Quelle est votre création préférée
?
Ma police préférée est toujours
celle sur laquelle je travaille. Je travaille actuellement sur une police
baptisée GrandBes qui devrait être mis en ligne sous peu,
si tout va bien. Elle est très lisible, a un beau gris typographique
avec une touche d’inspiration calligraphique, quelque chose d’Art Nouveau
avec ses lettres florales (M, W A). Je nourris de grands espoirs pour
elle.
Parmi mes autres créations, je suis très fana de Boum-Boum,
parce que je l’ai créé en 1994, et malgré une avalanche
de nouvelles créations, de tout style et couleur, cette police
a conservé son originalité. Vous pouvez remarquer par
la présence de nombreuses typo sans-serif que j’apprécie
l’école fonctionnelle en matière de design. Boum-Boum
peut-être considérée comme fonctionnelle, mais l’ajout
de simples gros points et les italiques inclinées, en font un
caractère toujours très moderne aujourd’hui.
Je suis convaincu qu’aussi étrange qu’une fonte puisse être,
elle doit rester lisible pour répondre à sa fonction principale.
A la différence d’autres créations graphiques qui peuvent
être complètement absurdes et n’avoir aucune utilité,
les lettres ont une fonction inhérente. Si je dessine un ’b’
qui ressemble à un ’d’, je pose un acte esthétique, mais
je complique singulièrement la tâche du lecteur. A moins
que je ne décide que les lettres sont une ouvre d’art, et à
ce titre n’ont pas d’autre objet que d’être accrochées
au mur, je dois les dessiner pour l’utilisateur final : le lecteur.
Vous proposez des polices pour les langues non-latines.
Avez-vous trouvé un marché dans les pays où ces
alphabets sont utilisés ?
Non, je ne cherche pas à toucher ces marchés
locaux. Très clairement, les polices de caractères, et
les sites web, sont des produits culturels et à ce titre directement
connectés à un marché culture spécifique.
En tant que Franco-Américain, je vise naturellement des clients
anglophones et francophones. Les typo non-latines ont été
créées pour mes clients habituels qui voulaient pouvoir
les utiliser sur leurs systèmes français et américain.
L’exemple du cyrillique est significatif : la demande a littéralement
explosé avec la chute du mur de Berlin. Les gens venait de tous
côtés demandant des typo russes mais ne voulaient pas apprendre
à utiliser un clavier russe ou ukrainien. Ils voulaient utiliser
leur clavier QWERTY pour composer du cyrillique. La plupart des typo
non-latines que j’ai réalisées ont été conçu
avec cette idée en tête. Je pense que les concepteurs de
système d’exploitation (ie Microsoft & Apple) ont fait une
grosse erreur en fournissant un support multilingue fondé sur
un clavier local. Au-delà des difficultés bien réelles
rencontrées par les clients en installant leur système,
ils ont à suivre une longue courbe d’apprentissage pour être
capable d’utiliser leur clavier. C’est ridicule.
Quelle est l’activité de Match Software
? Une fonderie qui édite les créations d’autres typographes
ou une société qui ne vend directement vos créations
en ligne ?
A
l’origine, lorsque j’ai créé Match Software avec un associé,
je pensais éditer d’autres designers. Puis cet associé
est décédé. J’ai rencontré d’autres typographes
et j’ai compris que je n’étais pas un commercial. Et encore moins
un gestionnaire. Je suis surtout un designer. Laissons à d’autres
gens le soin de vendre. En tant qu’artisan, je vend directement de mon
atelier. Mon dernier site, fontmenu.com, est même plus orienté
vers l’établissement d’une relation directe entre les utilisateurs
et le designer.
Cela ne signifie pas que je ne renvoie pas certains clients vers d’autres
éditeurs amis. Récemment, je suis devenu un affilié
d’ITCFonts.com,
et j’apprécie l’opportunité de renvoyer mes clients vers
eux quand je n’ai pas en stock la typo dont ils ont besoin.
Votre nom est également connu parce
que vous proposez certaines de vos polices en shareware. Est-ce une stratégie
commerciale ?
Oui,
il s’agit bien d’une stratégie commerciale. Je ne suis pas un
de ces veinards amis de ces légendaires capitalistes qui ont
créé Apple, Microsoft et Borland. Où pouvais-je
trouver les millions de dollars nécessaires pour faire distribuer
mes produits sur les étagères des distributeurs. J’ai
commencé à faire du shareware alors que l’Internet n’était
pas encore connu. Mes premiers produits étaient distribués
sur Compuserve et CalvaCom en France en shareware. Et n’oublions pas
non plus le réseaux des BBS.
Le shareware est une méthode efficace pour introduire un produit
sur un marché quand on n’a pas de moyens financiers pour en faire
la promotion. En effet, distribuer des échantillons au bon client
est une technique de vente utilisée par de nombreuses sociétés.
Finalement, quelle est la différence entre une fonte shareware
et un échantillon de shampoing distribué dans une salle
de gym ? Les deux sont des échantillons à tester. Les
deux m’aideront à décider si j’aime assez le produit pour
l’acheter. La différence est que cela coûte une fortune
au fabricant de shampoing parce qu’il utilise du plastique et des produits
chimiques.
Une fonte en shareware est faite de beaucoup de temps pour devenir un
fichier électronique dématérialisé. Bien
sûr, je n’ai aucune idée où elle va atterrir. Mais
c’est comme les drapeaux de prières boudhistes : quand ils sont
déchirés, le vent amène les paroles de Boudha là
où elles doivent aller. Le shareware est un acte de foi : je
crois que de temps en temps, une fonte sera assez belle et originale
pour que le client glisse quelques dollars sur mon site. Ceci, plus
le bouche-à-bouche, m’aide à payer le loyer de mon atelier.
En tant que membre de l’Association of Shareware Professionals, je sais
que cet acte de foi a fonctionné pour d’autres sociétés
ou individus. Et que cela fonctionne encore.
Quels sont vos principaux clients ? Est-ce
un métier rentable ?
J’ai deux types de clients : les individuels, la plupart
étant venu initialement pour télécharger des sharewares
et ayant décidé d’acheter par impulsion. C’est un peu
comme l’atelier d’un peintre : des visites informelles suscitent l’achat.
Les sociétés, parfois très importantes (Ikea par
exemple) viennent elles me voir avec des besoins spécifiques
que les plus grandes fonderies ne peuvent ou ne veulent satisfaire.
Je travaille alors comme un tailleur taille un costume sur-mesure. Les
prix ne sont pas les mêmes, de même que les difficultés.
Un des travaux les plus intéressants que j’ai jamais fait consistait
à faire en sorte qu’un logiciel initialement créé
sur Mac ait un rendu texte identique sur PC à ce que l’on voyait
sur le Mac. Entre les différentes formes de pixel, les différentes
résolutions, les problèmes d’approche, ce fut une expérience
très enrichissante.
Concernant la question de la rentabilité, je ne peux répondre
que par la phrase de Confucius : « L’homme qui considère
qu’il a assez est le plus riche du monde ». Si j’ai assez d’argent
pour payer mon loyer, ma nourriture, un nouvel ordinateur aujourd’hui,
je suis satisfait. Je ne conseillerai pas à un jeune aux dents
longues et amateur de Ferrari de choisir ce métier : le design
graphique est plus rémunérateur dans la publicité
ou l’emballage. Mais là encore, voulais-je vraiment dessiner
des emballages de shampoing ou des affiches pour du savon.

Article associé: Boum
Boum , portrait de caractère (Janvier 2002).
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