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Akira Kobayashi

 

[Mai 2004]
“Directeur de la typographie chez Linotype Library signifie principalement deux choses : superviser la qualité esthétique des créations maison et sélectionner les typos soumises par les designers extérieurs. Par esthétique je n’entends pas uniquement la forme de chaque lettre prise individuellement, mais aussi la forme des mots et des phrases que les caractères peuvent constituer.”
Akira Kobayashi


Linotype

Tout sur Akira Kobayashi (Bio officielle)

Akira Kobayashi est né en 1960. Il a étudié au Musahino Art University à Tokyo de 1979 à 1983, poursuivie par six ans de calligraphie au London College of Printing. Sa première expérience professionnelle typographique fut pour Sha-Ken Co.Ltd, un fabricant de machines de photocomposition, pour qui il travailla de 1983 à 1989. Par la suite, il rejoignit Jiyu-Kobo, Ltd, pour laquelle il dessina et digitalisa la typo japonaise Hiragino Mincho pour la Dainippon Screen Co., Ltd. Il a également dessiné les six graisses latines baptisées Hiragino Roman. De 1993 à 1997, Akira Kobayashi a travaillé pour la société TypeBank Co., Ltd. pour qui il a dessiné les alphabets latins qui accompagnaient les 17 polices de caractères japonaises digitalisées de TypeBank.

Entre mi-1997 et 2001, Akira Kobayashi a travaillé comme designer freelance, période pendant laquelle il remporta de nombreuses récompenses : la mention honorable pour le Socia Oldstyle au 5ème Concours international de création typographique Morisawa, le prix Best of Category et Best of Show en 1998 lors du councours du journal Ul&c pour le Clifford, un prix pour l’ITC Japanese Garden au Kyrillitsa’99, le 1er prix pour le Conrad au 3ème concours international Linotype ainsi que des prix pour les concours 1998, 1999, 2000 et 2001 du Type Directors Club respectivement pour l’ITC Woodland, l’ITC Japanese Garden, l’ITC Silvermoon, le FF Clifford et le Linotype Conrad.

Depuis mai 2001, il est directeur de la typographie chez Linotype Library GmbH. Il a récemment achevé la famille Optima Nova avec le créateur d’origine de cette famille, le professeur Hermann Zapf.

Caractères édités à ce jour: Skid Row (Letraset, 1990), ITC Woodland (ITC, 1997), ITC Scarborough, ITC Japanese Garden, ITC Seven Treasures, ITC Luna, ITC Silvermoon (all ITC, 1998), ITC Magnifico and ITC Vineyard (all ITC, 1999), FF Acanthus and Clifford (FSI, 1998/1999), Calcite Pro (Adobe Systems, 2000), Linotype Conrad (Linotype Library, 2000) and TX Lithium (TypeBox, 2001).

Quelques commentaires sur votre bio ?

J’ai pris des cours de lettrage et de typographie au Musahino Art University, mais naturellement ils étaient centrés sur l’écriture japonaise. Il n’y avait pas de textes de référence traitant de l’alphabet occidental : des sujets comme les relations entre les pleins et les déliés sont rarement mentionnés dans les livres de lettrage au Japon. La théorie de la règle et du compas est encore largement acceptée.

Ma première expérience de création typographique pour Sha-Ken Co., Ltd., un fabricant de photocomposeuse. Comme vous le savez peut-être, un jeu complet de caractères japonais requiert approximativement 7000 caractères. C’est trop pour être réalisé par un seul créateur de caractères. Dessiner une fonte japonaise requiert environ deux années de travail pour plusieurs designers qualifiés. J’ai été impliqué dans différents projets et j’ai pu progressivement améliorer mes qualités de tracé avec un pinceau fin. A la fin, j’étais capable de dessiner une douzaine de très fines lignes sur un millimètre.

De temps en temps, je dessinais des caractères latins et des chiffres arabes, et je ressentais que j’avais besoin d’en apprendre plus sur l’alphabet latin. Puis, j’ai réalisé que je devais également mieux maîtriser la langue anglaise. Tout d’abord, parce que les livres traitant de l’alphabet latin étaient la plupart du temps écrits en anglais. Ensuite, parce que je savais que si je n’étais pas familier avec l’alphabet latin, je ne pourrais jamais savoir si les caractères que je dessinais seraient acceptables pour un lecteur occidental.

Il existait plusieurs livres sur la création typographique occidentale dans mon département de design. Parmi eux, j’ai trouvé un petit livre intitulé A propos de l’alphabet par Hermann Zapf. Cela m’a pris six mois pour finir de le lire : mais j’ai eu ensuite un besoin urgent de pratiquer la calligraphie occidentale. Zapf indiquait qu’il avait commencé avec le Writing and illuminating, and lettering de Johnston ; j’ai donc suivi ses pas. J’ai commandé une copie du livre à une librairie outreocéan et j’ai commencé à m’autoformer à la calligraphie.

Plus tard, j’ai quitté la compagnie et suis parti à Londres ou je me suis inscris à des cours du soir sur la calligraphie au London College of Printing. Comme je n’avais jamais été auparavant dans un pays étranger, tout était absolument nouveau pour moi. Je lisais des livres sur la typographie, l’histoire de l’imprimerie (cela a été une grande surprise pour moi de trouver autant de livre sur la typo dans une bibliothèque ordinaire). J’ai aussi rencontré de nombreux designers et artisans qui m’ont beaucoup appris.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la typographie au Japon ?

Est-ce que les Japonais lisent de gauche à droite ou de droite à gauche ?’ est une des questions les plus fréquemment posées sur l’écriture japonaise. En fait, nous lisons dans les deux sens. Pour être plus précis, nous avons deux directions d’écriture : horizontale et verticale. La plupart de nos glyphes sont dessinés dans un carré et peuvent être composés aussi bien horizontalement que verticalement. Lorsque le texte est composé horizontalement, nous lisons de gauche à droite, comme les Occidentaux. Quand le texte est composé verticalement, nous lisons du haut vers le bas, en commençant par la ligne qui est située à l’extrémité de la colonne. C’est pourquoi je peux dire que nous lisons (aussi) de droite à gauche.

La seconde question fréquente est ’quelle est donc la taille d’un clavier japonais ?’. La réponse est : la même que les claviers occidentaux. Mais alors comment arrivons-nous à gérer 7000 caractères ? Ce n’est pas si difficile : imaginons que vous avez besoin de taper le symbole pourcentage (’%’) mais que ce dernier n’existe pas sur votre clavier. Heureusement vous savez l’épeler. Tout ce que vous avez à faire c’est de taper ’p-o-u-r-c-e-n-t-a-g-e’ et ’Entrée’ sur votre clavier. L’ordinateur convertira le mot écrit en phonétique en un symbole en une fraction de seconde et le ’%’ apparaitra. Quelquefois, c’est aussi facile que cela ; quelquefois vous avez à trouver le bon symbole parmi une liste de dix candidats possibles qui ont la même prononciation mais un sens différent. La plupart du temps, les logiciels de traitement de textes choisissent automatiquement le bon résultat d’après le contexte ou listent les symboles par ordre de fréquence d’apparition dans un texte ordinaire.

Le japonais est un système complexe d’écriture. Nous avons fondamentalement trois écritures. Les symboles idéographiques chinois appellé Kanji (ce qui signifie lettres chinoises) and deux jeux de symboles phonétiques appellés Hiragana et Katakana. Hiragana est utilisé pour transcrire des mots d’origine japonaise, Katagana pour transcrire des mots ou noms étrangers. Je ne suis pas sûr combien de caractères je peux lire ou écrire. Il existe certainement des centaines de Kanjis que je peux lire mais que je ne peux épeler correctement.

La langue japonaise continue de se développer - nous avons également inclu l’alphabet latin et les chiffres arabes dans nos caractères. Je pars du principe qu’un enfant de sept ans au Japon peut au moins lire à la fois l’Hiragana et le Katagana, les chiffres arabes de 0 à 9 ainsi qu’une poignée de Kanji et quelques mots d’anglais qui s’étalent sur son T-shirt.

Comme le Kanji, que nous avons emprunté à la Chine il y a près de 2000 ans, l’alphabet latin fait désormais partie de notre système d’écriture. Nous l’utilisons dans nos textes en japonais, souvent pour décrire un nom d’une organisation comme le CIO ou l’OPEP. Les remplacer par du Kanji est possible mais plutôt inefficient. A présentateur de nouvelles télévisées dira ’sekiyuyushutsukokukikou’ pour OPEP et se mordra presque la langue. Les Japonais sont fanas de contractions. D’habitude, le Kanji est très efficace. Dans un quotidien, ’les relations nippo-américaines’ ne requiereront que quatre lettres. Mais comme pour l’OPEP, l’alphabet occidental est préféré car il est plus court et probablement plus facile à prononcer.

MomaNous avons donc 4,5 écritures différentes (trois écritures japonaises et l’alphabet latin qui comprend les chiffres arabes), deux directions d’écriture, et le tout peut être mélangé sur une même page. Dans cet exemple nous avons du texte japonais en Kanji et Hiragana, un nom occidental ’Guggenheim’ retranscrit en Katakana et ’MoMA’, contraction de ’Museum of Modern Art’ composé verticalement. Nous n’avons pas seulement incorporé l’alphabet latin dans notre langage, mais nous avons également un jeu spécial de caractères latins afin d’éviter les collisions dans les compositions verticales. Je dois souligner qu’ils ne sont pas dessinés pour composer des mots mais plutôt des contrations qui requiert une reconnaissance lettre par lettre.

Il y a une autre raison pour laquelle l’alphabet latin est si commun au Japon. Les gens d’affaires et les industriels considèrent que quelquechose formulé dans un mot occidental sonne mieux, comme supérieur en qualité que son équivalent oriental, même si le produit n’est destiné qu’au marché japonais. Nous achetons des choses qui sonnent occidentales, même si cela ne nous évoque rien. Au Japon, les gens utilisent les alphabets occidentaux de la manière qu’ils aiment.

D’un autre côté, ces dernières années, le design occidental a éprouvé un grand intérêt pour l’Asie. Très souvent, j’ai vu des graphismes qui utilisaient des caractères japonais juste pour donner une touche exotique, mais qui semblaient bizarres à un oil japonais parce que le texte n’avait aucun sens. J’ai vu une fois une publicité sur un seuil dans laquelle les caractères étaient imprimés à l’envers. Dans les pays occidentaux, les gens utilisent les caractères japonais ou chinois comme cela les arrange.

Vous avez été récompensé à de nombreuses reprises (Morisawa, TDC, Ul&c, Linotype). Quel a été le plus important trophée et pourquoi ?

La présentation au 3ème Concours international de typographie digitale de Linotype à Mayence (Juin 2000) a représenté pour moi un moment capital. Le professeur Zapf était un des juges et il a assisté à la présentation (même si ce n’était pas la première fois que nous nous rencontriions : je l’ai rencontré pour la première fois en juin 1997). Je lui ai dit combien la lecture de son livre avait changé ma vie de dessinateur de caractères. Deux jours plus tard, je suis allé lui rendre visite chez lui à Darmstadt and j’ai passé l’après-midi à discuter de création typographique, en particulier de son Optima. A l’époque, Linotype Library recherchait un bon directeur pour le développement de l’Optima Nova (le redesign de l’Optima historique), mais je ne le savais pas.

En décembre 2000, j’ai reçu un email de Linotype Library me demandant si j’étais intéressé à les rejoindre comme directeur de la typographie et j’ai accepté.

Vous êtes désormais Type Director de la Linotype Library. En quoi consiste votre travail ?

Directeur de la typographie chez Linotype Library signifie principalement deux choses : superviser la qualité esthétique des créations maison et sélectionner les typos soumises par les designers extérieurs. Par esthétique je n’entends pas uniquement la forme de chaque lettre prise individuellement, mais aussi la forme des mots et des phrases que les caractères peuvent constituer. La qualité technique est contrôlée par nos ingénieurs. Je sélectionne aussi les caractères que nous publions. Nous tenons une réunion d’évaluation une ou deux fois par trimestre. Plusieurs collègues de diverses départements et moi-même constituons un comité de sélection qui m’aide à prendre la décision finale. La décision est prise principalement sur des bases esthétiques, mais le caractère doit être original. Je suis obligé de rejeter les propositions qui sont trop proches d’un dessin existant, même s’ils sont bien réalisés.

De nombreux jeunes créateur de caractères choisissent de créer leur propre fonderie pour distribuer leurs créations. Comment Linotype Library se positionne par rapport à eux ?

Nous publions non seulement les classiques, mais aussi les caractères à la mode innovants à un prix raisonnable. Notre collection ’TakeType’ comprend des caractères sélectionnés dans les concours Linotype Library et les réunions de sélection. Elles sont classées en caractères de texte, de titrage, fun et de symboles. La bibliothèque TakeType comprend des créations nouvelles, fraiches, expérimentales, effrayantes et avant tout contemporaines. Les polices sont testées et éprouvées par nos ingénieurs ce qui signifie que la qualité est garanties par Linotype. C’est une collection qui se vend très bien, et la cinquième collection est sur les rails.

Est-ce que la pratique de la typographie est différente en Allemagne (où vous travaillez) et au Japon ?

Non, nous avons juste des systèmes d’écriture différents. Il n’y a donc pas de point de vue allemand ou japonais ; il y a en revanche de nombreux points de vue individuels différents.

Par ailleurs, je pense que l’éducation typographique au Japon devrait être améliorée. On nous apprend l’alphabet latin et la langue anglaise à l’âge de dix ans ; l’alphabet latin ne nous est donc pas trop exotique. Quoiqu’il en soit, il est difficile pour nous de dessiner un caractère latin correct. De plus en plus de graphistes japonais dessinent des logotypes et des affiches avec des caractères latins. D’intéressants logos et polices de titrage sont l’ouvre de designers japonais. Cependant, il semble difficile pour nous de dessiner une police occidentale satisfaisante. Cela tient à notre système scriptural qui est complètement différent du système occidental. Un caractère Kanji ou chinois est un mot en lui-même. Nous dessinons un caractère japonais dans un carré fermé, car il peut être composé aussi bien verticalement qu’horizontalement. A cause de cela, la plupart des graphistes japonais ont tendance à penser que les mots étrangers peuvent être lus lettre par lettre. C’est un contre-sens classique. Comme le fait remarquer Matthew Carter, les dessinateurs de caractères sont des dessinateurs de mots ; cela m’a pris plusieurs années pour le comprendre.

Trouvez-vous encore le temps de créer des caractères ? Sur quel projet travaillez-vous ?

Pour le moment, très peu, mais bientôt je commencerai à travailler sur mes propres dessins pour une prochaine édition de la bibliothèque Linotype.

J’ai juste achevé le caractère Avenir Next avec Adrian Frutiger. Il s’agit d’une nouvelle version de l’Avenir. L’Avenir Next a des graisses complètement revues (voir le PDF en anglais ci-joint). Six nouvelles graisses et une version étroitisée ont également été ajoutées à la famille.

Les italiques n’ont pas une forme cursive, mais peuvent s’apparenter à un « romain penché ». Néanmoins, la forme des lettres est travaillée et le crénage est soigné. De plus, des petites capitales seront ajoutées à toutes les graisses. Le nombre total de caractères de la famille sera de 48. Elle sortira à la fin de 2003.


Article associé: Clifford, portrait de caractère (Mai 2004).