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Thierry Arsaut

 

[Août 2005]
“Nous commençons une discussion à propos d’un nouveau caractère en parlant de son application plutôt que de considérations historiques.”
Jonathan Hoefler


Typography.com

Vous êtes reconnu comme un spécialiste des caractères revisités (“revivals”). Pourquoi cette spécialisation ?

C’est amusant, mais je ne me considère pas comme quelqu’un d’impliqué fortement dans les relectures historiques. La plupart de mes travaux des dix dernières années se sont fait en dehors du continuum historique. C’est particulièrement vrai dans les cinq dernières années durant laquelle Tobias Frere-Jones et moi-même avont travaillé ensemble. Nous avons toujours gardé un œil sur l’histoire, mais nous sommes plus intéressé à dessiner de nouveaux caractères qu’à interpréter des plus anciens.

L’histoire de la typographie, avant le XXe siècle est très européenne. Trouvez-vous du matériel historique pour dessiner des caractères dans l’héritage américain ?

KnockoutAbsolument! Je suppse que l’exemple le plus évident est mon Knockout, qui est une interprétation d’un type typiquement américain. La création de l’American Type Founders company (ATF) au tournant du siècle dernier a constitué un événement capital, dans la mesure où il a subsitué une approche désuette de la fonderie de caractères par une plus moderne. (là où les fondeurs du XIXe siècle se contentaient de collectionner les caractères, les fondeurs du XXe siècle ont essayé d’organiser et de rationaliser ce qui avait été fait). Les travaux de Morris Fuller Benton sont particulièrement intéressant dans cette perspective.

Ce qui veut dire que la plupart des grands mouvements en matière de fonderie de caractère ont eu lieu en Europe et elles constituent à ce titre une source d’inspiration (je ne connais pas si la typographie en Amérique a connu des périodes aussi fécodes que le XVIe siècle en Flandre ou le XIXe en Angleterre). Mais la grande particularité du dessin de caractères américain est le lettrage traditionnel plus que la fonderie de caractères. Il existe des styles spécifiquement américains de l’écriture de cartes de vœux aux enseignes lumineuses que je trouve réconfortante et finalement fascinante. Tobias a fait une grande étude pour son Gotham et il y en a sûrement d’autres à découvrir.

Quels sont les autres facteurs, outre l’histoire, que vous prenez en compte quand vous dessinez un caractère ?

L’histoire joue un rôle stratégique dans ce que nous considérons comme la chose la plus importante à savoir le champs d’application. Par ceci, je ne parle pas seulement de considérations matérielles - à quelle taille il marche le mieux, sur quel sorte de support il doit être appliqué - mais où doit-il être utilisé en premier lieu. Nous commençons plutôt une discussion à propos d’un nouveau caractère en parlant de son application plutôt que de considérations historiques : la personne qui souhaite un “joli Bodoni” sera probablement bien servi par un caractère déjà existant, alors que celui qui veut améliorer la visibilité d’une page de stock aura en fait besoin de quelque chose de nouveau.

Vous avez développé également des fontes de titrage. Est-ce qu’elles requièrent un travail différent des caractères de texte ?

Le travail est similaire dans la mesure où il pose un nombre équivalent de défis, l’un de ceux ci étant de savoir comment évaluer le succès d’un dessin. Actuellement, notre dessinateur Jesse Ragan travaille sur un caractère qui devrait être utilisée en 144 pt et au-delà, et il trouve très difficile de trouver des jeux pour évaluer l’écartement des lettres. La plupart des projets sur lesquels il a travaillé ces dernières années étaient des caractères à composer en taille de texte. Regarder brutalement des lettres de la taille d’une page lui semble un appel pour une différente paire d’yeux. Je pense que Robert Bringhurst le montre bien quand il disait que la typographie était un art où le microscopique et le macroscopique converge constamment.

Vous avez la réputation de dessiner de très beaux spécimens de caractères. Comme les fondeurs du passé…

Merci beaucoup! C’est gentil de le remarquer - je travaille beaucoup sur chacun d’eux. Une des raisons pour laquelle je me suis lancé dans cette activité remonte à 1989. A l’époque, j’étais très désapointé de voir comment les caractères étaient présentés. Je ne pouvais pas penser à rien de plus déprimant que passer des années à travailler sur un nouveau dessin, seulement pour les voir présenter comme un alphabet en taille 12 pt. J’ai adoré utilisé les caractères que nous produisons chez H&FJ, et il n’y a rien que je cherche plus que de chercher à travailler avec des caractères en cours de développement. Pensez que comme la bibliothèque grandit, il devient incroyablement difficile de trouver de nouvelles manières de présenter de nouveaux caractères ; mais trouver une solution est une des satisfactions les plus grandes du dessinateur.

Quant avez-vous eu l’idée d’acheter le nom de domaine “typography.com" ?

Je pense que je l’ai enregistré en 1994. Heureusement pour moi, mon premier choix était "hoefler.com" mais il était déjà pris.

Avec Internet, de nombreux jeunes dessinateurs de caractères ont essayé de vendre directement leurs créations. Est-il aujourd’hui plus simple de faire connaître son travail ?

Je ne pense pas qu’Internet a réellement changé les choses. Le web est un super canal pour trouver ce que vous cherchez, mais vous devez toujours savoir ce que vous cherchez en “googlant” ‘fonts’ et ces 19.800.000 pages. Au final, je pense que les créatifs doivent faire face aux mêmes challenges qu’auparavant qui est de laisser d’autres gens savoir ce qui vaut la peine. De nombreux bons restaurant font faillite parce que personne n’y va ; de même, de nombreux excellents caractères sont en vente en ligne mais personne ne sait qu’ils existent.

Ce que l’Internet a changé, c’est le processus de développement. Quelqu’un qui commence le dessin d’un caractère aujourd’hui a un accès à des ressources insoupçonnées et peut souvent trouver les réponses à des questions pointues à travers de simples applications. Je pense que c’est l’intérêt de tous !


Article associé: portrait du caractère Hoefler Text (Août 2005).