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Yves Perrousseaux

 

[Janvier 2002]
Yves Perrousseaux, un pédagogue
et un propagandiste de la typographie

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Comment devient-on le principal éditeur d’ouvrages francophones consacrés à la typographie ?

Un peu par hasard à vrai dire. Je ne me suis jamais dit dans le temps : « Un jour, il faudra que je devienne éditeur. » Mais c’est vrai que j’ai toujours travaillé plus ou moins dans l’édition.

J’ai fait mes débuts dans la fabrication aux Éditions de Montsouris à Paris, qui éditaient alors des revues comme Rustica et L’Écho de la mode. J’étais secrétaire de rédaction, ce qui m’a permis de toucher un peu à tout et de réaliser toutes mes bêtises de débutant. À cette époque la composition était encore réalisée en plomb (1964-1968), mais j’avais juste le droit de regarder.

Ensuite, j’ai quitté Paris, début 1968, pour la Haute-Provence où s’était installé dix ans auparavant un éditeur parisien, Robert Morel, qui réalisait de curieux livres-objets. Robert Morel créait un poste de chef de fabrication et c’est moi qui ai été retenu. Je suis resté deux années chez lui et ensuite, après force disputes, il m’a foutu dehors parce qu’« il ne pouvait pas y avoir deux chefs ». J’avais alors 29 ans et je dois reconnaître qu’à cette époque je n’étais pas particulièrement souple de caractère. Chez Morel, j’ai appris beaucoup de choses, non plus dans la presse, mais dans le livre cette fois-ci.

N’ayant aucune envie de retourner à Paris ou de vivre dans une grande ville, je me suis alors installé à mon compte comme « maquettiste », comme on disait à cette époque, à mon domicile, une maison en pleine campagne. Mais dans ce pays perdu, quoique si beau, on considérait à cette époque que ce métier ne servait à rien : en effet, depuis des siècles, on allait voir l’imprimeur et tout allait bien. Qu’est-ce que c’était que cette profession parasite ? Toujours est-il que les deux premières années je me faisais à peine la moitié d’un SMIG par mois. Heureusement que ma jeune femme qui était professeur de sciences naturelles (à Paris) avait trouvé à Forcalquier un temps partiel dans une école ménagère où elle a enseigné quelque temps différentes matières. De plus, nous avions trois tout jeunes enfants, espacés de 18 mois chacun, ce qui posait un gros problème de temps disponible à consacrer au travail alternativement, ma femme et moi.

Il a fallu plus d’un an pour obtenir le téléphone (depuis les PTT ont rattrapé leur retard). Il me fallait aller à la poste de Forcalquier, demander les numéros et attendre parfois une heure ou deux pour pouvoir les obtenir. Parfois, je m’entendais répondre : « Monsieur Untel est en réunion, rappelez dans deux heures ! » J’emmenais un dossier, m’asseyais sur une chaise et travaillais sur mes genoux. Voilà les débuts de l’Atelier Perrousseaux !

Petit à petit, je me suis fait de gros clients, principalement industriels, dans la région, à Avignon, Aix-en-Provence et Marseille, et plus tard à Paris (Lafarge, IBM France, Poclain, le groupe PPB, Générale Sucrière, etc.). Ce qui fait que l’Atelier Perrousseaux, dans les dix ans qui ont suivi 1970 a eu jusqu’à 15 ou 16 employés. Nous étions installés à Forcalquier, dans l’ancienne poste d’ailleurs, celle où j’avais attendu des heures, des années plus tôt, mes numéros de téléphone !

Nous ne réalisions pas des travaux de publicité proprement dits, mais étions devenus spécialisés dans la réalisation de programmes de formation destinés aux cours des formateurs (en cimenterie, par exemple, pour Lafarge), de livrets expliquant le maniement de machines (par exemple pour IBM, pour ses machines à écrire, sa composphère, etc.). On n’imagine jamais que les livrets vendus avec les logiciels, ou autres produits, ont forcément été réalisés par quelqu’un, même s’ils sont plus souvent sur CD-Rom maintenant. Les clients apportaient leurs connaissances à transmettre, et nous, nous apportions la façon de les transmettre en fonction des sujets et des cibles. Ces années-là m’ont été une école didactique extraordinaire ; c’est par la suite que je m’en suis rendu compte, et aujourd’hui le style d’écriture de mes ouvrages provient de ces expériences, c’est sûr.

Nous réalisions également des catalogues techniques, des plaquettes diverses, des revues d’entreprises et des diaporamas (c’était l’époque). Albert Hollenstein m’avait expliqué les pièges à éviter. Il m’a d’ailleurs appris bien des choses.

Et puis la conjoncture a changé, les marchés sont devenus plus rares, il a fallu licencier, d’autres étaient déjà partis, comme Michel Derre que j’ai embauché comme débutant alors qu’il n’avait même pas vingt ans je crois. Maintenant il enseigne à l’École Estienne.

Les années ont passé. L’Atelier, maintenant c’est ma femme (qui assure la comptabilité et l’administration, sans goût pour cela, la pauvre) et moi qui fais le reste, parfois aidé par deux copains graphistes qui habitent dans les environs. Depuis 1985, nous habitons à Reillanne.

Mais je suis revenu à l’édition qui est quand même le domaine dans lequel je suis le plus compétant et qui m’apporte le plus de plaisir. Mon principal travail consiste à mettre en page des livres pour des éditeurs (par exemple Équinoxe) et des catalogues techniques pour des clients industriels.

Et puis, en 1995, je suis devenu éditeur tout à fait par hasard. Comme je l’explique dans l’introduction de mon Manuel de typographie élémentaire, ce sont des clients qui m’ont demandé de réaliser des livres didactiques concernant la mise en page, la typographie, enfin la base des choses qu’il faut maîtriser quand on fait de la PAO, pour des gens « comme eux », c’est-à-dire des gens qui ne possèdent pas les bases du métier.

Le Manuel de typographie française élémentaire est sorti pour Apple Expo 1995 et a été bien accueilli par la presse professionnelle, ce qui a permis un bon démarrage. Puis j’ai fait la mise en place dans les librairies parisiennes sur les conseils et avec l’aide physique de copains des Rencontres internationales de Lure (nous parcourrions les rues avec des bouquins dans des sacs à dos, merci encore Guillaume Oriol !). Imaginez ce tout nouveau et tout petit éditeur inconnu, de province de surcroît, qui s’amène avec un seul livre : de quoi être jeté sur le champ. Eh bien non ! Les grandes librairies en ont acheté de suite puis recommandé dans la semaine, et puis encore et encore.

À la maison, il fallait faire des tas de colis pour les librairies de France, de Navarre, de Belgique, etc. Qu’est-ce que c’est lourd les livres ! Comme ça pendant deux ans. Jusqu’au jour où la librairie Eyrolles, qui tient très bien ses stocks et se rendait compte que mes deux livres (il n’y en avait pas d’autres à l’époque) se vendaient bien et régulièrement (ce n’était pas un feu de paille), nous a demandé comment étaient gérées la diffusion et la distribution, et nous a alors proposé de prendre cela en main par le biais de sa filiale Géodif pour la diffusion, et la Sodis pour la distribution. Et ça marche très bien.

Notre contrat avec Géodif ne concerne que les ventes en librairies. Pour le reste, les lycées techniques par exemple, nous avons carte blanche pour traiter en direct.


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