|
|
Comment devient-on le principal éditeur douvrages
francophones consacrés à la typographie ?
Un peu par hasard à vrai dire. Je ne me suis jamais
dit dans le temps : « Un jour, il faudra que je devienne éditeur.
» Mais c’est vrai que j’ai toujours travaillé plus ou moins
dans l’édition.
J’ai fait mes débuts dans la fabrication aux Éditions
de Montsouris à Paris, qui éditaient alors des revues
comme Rustica et L’Écho de la mode. J’étais secrétaire
de rédaction, ce qui m’a permis de toucher un peu à tout
et de réaliser toutes mes bêtises de débutant. À
cette époque la composition était encore réalisée
en plomb (1964-1968), mais j’avais juste le droit de regarder.
Ensuite, j’ai quitté Paris, début 1968, pour la Haute-Provence
où s’était installé dix ans auparavant un éditeur
parisien, Robert Morel, qui réalisait de curieux livres-objets.
Robert Morel créait un poste de chef de fabrication et c’est
moi qui ai été retenu. Je suis resté deux années
chez lui et ensuite, après force disputes, il m’a foutu dehors
parce qu’« il ne pouvait pas y avoir deux chefs ». J’avais
alors 29 ans et je dois reconnaître qu’à cette époque
je n’étais pas particulièrement souple de caractère.
Chez Morel, j’ai appris beaucoup de choses, non plus dans la presse,
mais dans le livre cette fois-ci.
N’ayant aucune envie de retourner à Paris ou de vivre dans une
grande ville, je me suis alors installé à mon compte comme
« maquettiste », comme on disait à cette époque,
à mon domicile, une maison en pleine campagne. Mais dans ce pays
perdu, quoique si beau, on considérait à cette époque
que ce métier ne servait à rien : en effet, depuis des
siècles, on allait voir l’imprimeur et tout allait bien. Qu’est-ce
que c’était que cette profession parasite ? Toujours est-il que
les deux premières années je me faisais à peine
la moitié d’un SMIG par mois. Heureusement que ma jeune femme
qui était professeur de sciences naturelles (à Paris)
avait trouvé à Forcalquier un temps partiel dans une école
ménagère où elle a enseigné quelque temps
différentes matières. De plus, nous avions trois tout
jeunes enfants, espacés de 18 mois chacun, ce qui posait un gros
problème de temps disponible à consacrer au travail alternativement,
ma femme et moi.
Il
a fallu plus d’un an pour obtenir le téléphone (depuis
les PTT ont rattrapé leur retard). Il me fallait aller à
la poste de Forcalquier, demander les numéros et attendre parfois
une heure ou deux pour pouvoir les obtenir. Parfois, je m’entendais
répondre : « Monsieur Untel est en réunion, rappelez
dans deux heures ! » J’emmenais un dossier, m’asseyais sur une
chaise et travaillais sur mes genoux. Voilà les débuts
de l’Atelier Perrousseaux !
Petit à petit, je me suis fait de gros clients, principalement
industriels, dans la région, à Avignon, Aix-en-Provence
et Marseille, et plus tard à Paris (Lafarge, IBM France, Poclain,
le groupe PPB, Générale Sucrière, etc.). Ce qui
fait que l’Atelier Perrousseaux, dans les dix ans qui ont suivi 1970
a eu jusqu’à 15 ou 16 employés. Nous étions installés
à Forcalquier, dans l’ancienne poste d’ailleurs, celle où
j’avais attendu des heures, des années plus tôt, mes numéros
de téléphone !
Nous
ne réalisions pas des travaux de publicité proprement
dits, mais étions devenus spécialisés dans la réalisation
de programmes de formation destinés aux cours des formateurs
(en cimenterie, par exemple, pour Lafarge), de livrets expliquant le
maniement de machines (par exemple pour IBM, pour ses machines à
écrire, sa composphère, etc.). On n’imagine jamais que
les livrets vendus avec les logiciels, ou autres produits, ont forcément
été réalisés par quelqu’un, même s’ils
sont plus souvent sur CD-Rom maintenant. Les clients apportaient leurs
connaissances à transmettre, et nous, nous apportions la façon
de les transmettre en fonction des sujets et des cibles. Ces années-là
m’ont été une école didactique extraordinaire ;
c’est par la suite que je m’en suis rendu compte, et aujourd’hui le
style d’écriture de mes ouvrages provient de ces expériences,
c’est sûr.
Nous
réalisions également des catalogues techniques, des plaquettes
diverses, des revues d’entreprises et des diaporamas (c’était
l’époque). Albert Hollenstein m’avait expliqué les pièges
à éviter. Il m’a d’ailleurs appris bien des choses.
Et puis la conjoncture a changé, les marchés sont devenus
plus rares, il a fallu licencier, d’autres étaient déjà
partis, comme Michel Derre que j’ai embauché comme débutant
alors qu’il n’avait même pas vingt ans je crois. Maintenant il
enseigne à l’École Estienne.
Les années ont passé. L’Atelier,
maintenant c’est ma femme (qui assure la comptabilité et l’administration,
sans goût pour cela, la pauvre) et moi qui fais le reste, parfois
aidé par deux copains graphistes qui habitent dans les environs.
Depuis 1985, nous habitons à Reillanne.
Mais je suis revenu à l’édition qui est quand même
le domaine dans lequel je suis le plus compétant et qui m’apporte
le plus de plaisir. Mon principal travail consiste à mettre en
page des livres pour des éditeurs (par exemple Équinoxe)
et des catalogues techniques pour des clients industriels.
Et puis, en 1995, je suis devenu éditeur tout à fait par
hasard. Comme je l’explique dans l’introduction de mon Manuel de typographie
élémentaire, ce sont des clients qui m’ont demandé
de réaliser des livres didactiques concernant la mise en page,
la typographie, enfin la base des choses qu’il faut maîtriser
quand on fait de la PAO, pour des gens « comme eux », c’est-à-dire
des gens qui ne possèdent pas les bases du métier.
Le
Manuel de typographie française élémentaire
est sorti pour Apple Expo 1995 et a été bien accueilli
par la presse professionnelle, ce qui a permis un bon démarrage.
Puis j’ai fait la mise en place dans les librairies parisiennes sur
les conseils et avec l’aide physique de copains des Rencontres internationales
de Lure (nous parcourrions les rues avec des bouquins dans des sacs
à dos, merci encore Guillaume Oriol !). Imaginez ce tout nouveau
et tout petit éditeur inconnu, de province de surcroît,
qui s’amène avec un seul livre : de quoi être jeté
sur le champ. Eh bien non ! Les grandes librairies en ont acheté
de suite puis recommandé dans la semaine, et puis encore et encore.
À la maison, il fallait faire des tas de colis pour les librairies
de France, de Navarre, de Belgique, etc. Qu’est-ce que c’est lourd les
livres ! Comme ça pendant deux ans. Jusqu’au jour où la
librairie Eyrolles, qui tient très bien ses stocks et se rendait
compte que mes deux livres (il n’y en avait pas d’autres à l’époque)
se vendaient bien et régulièrement (ce n’était
pas un feu de paille), nous a demandé comment étaient
gérées la diffusion et la distribution, et nous a alors
proposé de prendre cela en main par le biais de sa filiale Géodif
pour la diffusion, et la Sodis pour la distribution. Et ça marche
très bien.
Notre contrat avec Géodif ne concerne que les ventes en librairies.
Pour le reste, les lycées techniques par exemple, nous avons
carte blanche pour traiter en direct.
[Page 1] - [Page
2] - [Page 3]
|