Planète typographie MyFonts
Benoit Higel

 

[Juillet 2003]
“La typographie est un véritable catalyseur de l’époque. (...) De fait, le dessin de la lettre est un véritable concentré de sens. Et c’est finalement mon travail chez Carré Noir : créer du sens, de la manière la plus synthétique possible pour que finalement, à un signe corresponde une idée.”
Benoit Higel
Directeur de création chez Carré Noir

   

Carré Noir en quelques mots

Carré Noir est une agence française de conseil en design graphique, aujourd’hui intégrée au groupe Publicis.

C’est le n°3 français de cette activité ultra-spécialisée. Elle est organisée autour de cinq activités : langages & stratégie (création et positionnement de marque), branding & corporate (programme d’identité visuelle), branding & packaging (emballage), branding & edesign (création de sites web) et branding & architecture (décoration et aménagement d’espace).

Quoiqu’appartenant à un groupe publicitaire, notre métier est sensiblement différent. « Notre travail doit en effet s’inscrire dans le temps, être pérenne. »

Directeur de création chez Carré Noir

L’interlocuteur en matière d’identité visuelle est bien souvent la Direction générale. Elles ressentent en général bien les enjeux et s’immergent  totalement dans ce qui leur est présenté.

Les enjeux sont en effet importants. Il s’agit  souvent d’unifier sous une bannière : la marque, les différentes entités d’un même groupe. Un programme d’identité doit cependant laisser la place à l’expression des singularités. En effet, l’image de l’entreprise doit aussi tenir compte de son organisation (centralisée, décentralisée, avec ou sans marques fortes en son sein).

Les conséquences économiques sont loin d’être négligeable. La  rationalisation de l’identité graphique permet de supprimer bien des redondances, de centraliser l’achat de papeterie, d’harmoniser les postes de travail.

L’argumentaire doit être adapté aux besoins du client. Mais le choix d’un caractère typographique pour une marque repose d’abord et avant tout sur l’histoire de ce caractère, sa lisibilité et ce qu’il évoque. Un caractère moderne pour l’Agence spatiale européenne contre un caractère classique pour Inès de la Fressange. Pour Dassault Systèmes, nous avons choisi l’Apolline comme typographie d’accompagnement.
Le choix du caractère proposé ressort de réunions de brainstorming avec les membres de l’équipe,  le caractère est presque toujours retravaillé afin de s’adapter à la création de logotypes.

La charte doit  présenter et expliquer les règles qui ont présidées au projet graphique, l’esprit plutôt que la lettre, le tout en une dizaine de pages.

Comment devient-on directeur de création ?

Un concours de circonstances ! J’avais d’abord commencé des études de médecine avant de m’orienter vers les Arts décoratifs où je me suis pris de passion pour la calligraphie. Il y eut ensuite Claude Mediavilla, les rencontres de Lure, Albert Boton. Michel Derre , Renan le Henaff, et bien d’autres.

C’est Albert Boton qui m’a permis de rencontrer Michel Disles, quelques temps après cette rencontre, je suis rentré chez Carré Noir. On peut penser que lorsqu’on trouve sa voie à 33 ans, c’est la bonne. Je suis aujourd’hui directeur de création, c’est à dire que je supervise le travail d’une équipe de directeurs artistiques. C’est un travail passionnant qui consiste à faire parler le talent de chacun des membres des équipes de créatifs.

Je suis par ailleurs professeur d’identité visuelle à l’Académie Charpentier, une des plus anciennes écoles privée de design graphique.

Le sens de la typo

La typographie est un véritable catalyseur de l’époque. Rares sont ceux qui savent l’apprécier , pourtant son étude permet de comprendre les tendances du moment. Il suffit pour s’en convaincre de regarder  par exemple les typos utilisées par certains  magazines de surf dans lequels on combine du Blur avec de l’Apoline. L’idée  correspond à la tendance actuelle pour le métissage culturel.

De fait, le dessin de la lettre est un véritable concentré de sens. Et c’est finalement mon travail chez Carré Noir : créer du sens, de la manière la plus synthétique possible pour que finalement, à un signe corresponde une idée.

Même si parfois, après bien des réflexions, on revient aux grands classiques. Comme le disait Albert Boton, non sans humour : « ne t’inquiète pas Benoit, de toute façon, cela se terminera en Helvetica. »

Les grandes mutations

Le travail typographique en agence a bien changé ces dernières années. On est en effet très loin du temps où Albert Boton faisait lui-même les mises au point et restait presque tout au long de sa carrière au sein la même agence. Aujourd’hui, les jeunes typographes se font toujours la main en agence mais préfèrent rapidement poursuivre leur carrière en solo...

De fait, les agences ont moins besoin d’avoir des typographes à demeure. Elles font appel à ces indépendants en fonction de leurs sensibilités et de leurs disponibilités.

Les créateurs de typo français sont toujours très marqués par leur formation classique. Ils s’inspirent et revisitent avec bonheur le plus souvent le fond que constitue le cabinet des poinçons. Les Suisses, à l’image d’André Baldinger ont une approche parfois plus expérimentale : le Dot en est un bon exemple.

La diversité typographique

L’offre typographique s’est considérablement élargie ,  l’éclosion de nombreuses fonderies comme Emigre ou T26 a régénéré un marché  qui dans les années 1970 était largement dominé par Monotype, Berthold ou ITC.


Du coup, le travail des utilisateur de typo s’est sensiblement compliqué. Auparavent, il fallait choisir une typo à partir des énormes catalogues des fonderies beaucoup se souviennent encore d’avoir feuilleté  les 2 tomes du"Berthold", plus de 1000 pages. Tout l’art consistait à savoir utiliser le susdit catalogue. Aujourd’hui, la tendance  s’oriente vers un regroupement des caractères par créateur.

Le nom des typographes est devenu une véritable marque. La plupart d’entre eux privilégie la vente directe de leurs caractères à l’image de Jean-François Porchez qui autorise le paiement par Carte bleue directement de son site. La vente en direct permet de mieux maîtriser le marketing des caractères et de récupérer tout ou partie des marges autrefois attribuées aux distributeurs, pour investir plus rapidement ces sommes dans de nouvelles création.

Ce système permet à un plus grand nombre de créateurs indépendants de vivre de leurs ouvres. Ceci dit, Microsoft a quand même significativement freiné la diversité typographique avec son Windows. On est passé d’un dictat de l’Helvetica à une domination de l’Arial.

Les typographes

Un créateur de caractères est bien sûr d’abord un amoureux de la typographie, c’est une véritable passion qui commence par une fascination de l’écriture ce qui doit probablement remonter à l’enfance lorsqu’ on apprend la lecture et que l’on découvre qu’il n’est rien de plus fascinant que l’écriture.

C’est un travail de solitaire qui exige un très haut niveau de lucidité, une capacité à juger objectivement son travail. Créer un caractère typographique relève d’une véritable démarche d’artiste, d’artiste maudit pourrait-on presque dire tant cette création suscite peu de reconnaissance.

Le concours Agfa-Intergraphic

C’est le principal prix typographique français, en dehors des manifestations organisées par l’AtypI.  Il récompense les créations les plus significatives de l’année en matiére d’alphabet d’entreprise. Sa notoriété est encore insuffisante mais chaque année 30 à 50 nouvelles contributions nous sont soumise. Il faut dire que l’atomisation du métier rend beaucoup plus difficile la collecte des travaux. Agfa fait d’ailleurs un fastidieux mais nécessaire travail de collecte, encore merci à leurs équipes.


Propos recueillis par Jean-Christophe Loubet del Bayle